Le temps calligraphe
Une part d’éternité est en chacun
De nous. Les arbres nous y relient.
Toujours, ils nous ont précédés. Toujours,
Ils nous dépassent. Ils portent l’homme vers
La lumière, et s’il y consent vers sa clarté.
Pour peu qu’on les laisse en paix,
Ils savent créer sans apprentissage, du vert
Avec de l’ombre ; des cathédrales, des opéras
Avec des palmes en lambeaux ;
De la sève avec du sec.
Depuis des temps immémoriaux,
La sève se tait dans les veines du sec.
Encre tenue suspendue dans
Le pinceau du temps.
La forêt m’écrit, de mon obscur
Et de plus loin ; d’une fracture d’avant
Celle du Gondwana.
D’une sève d’avant les oiseaux,
D’avant l’homme,
D’avant son cri, son calame,
D’avant ses mots.
À fleur de sec, la sève cherche sa voix.
Elle ouvre mon silence à la clarté
D’un chant où se suspend le mien.
Chant premier.
Dis, quel souffle - si l’air s’absente -
Nous le rendra ?
La forêt me regarde
À travers ses palmes monumentales
Tout là-haut presque hermétiquement
Closes,
La forêt me regarde.
D’infimes pinceaux déploient
Sur la suie de ma crypte, des vitraux
Indigo violet brun-rouge,
Et sous le noir surpris, révèlent
Incandescent, l’or
D’un regard tu.
La sève brille. La sève chante.
Elle rit, dis-tu ?
À fleur de sève, mon chant advient.
Dans ce chant, s’apaisent
Ceux que j’aime, et s’accordent
Les remuements de mon être.
Ce chant m’emplit.
Je me dois de le restituer, sonore,
À tout ce qui vit.
À fleur d’ombre, le vert cherche son noir.
Cendres et flamboiements.
Regard premier.
Dis, quelle lumière - si le vert s’éteint -
Nous le rendra ?
Dans les plis du sec
Sens-tu dans l’air vert, la soie d’un noir
Parfum qui s’élève ?
À moins que ce ne soit l’encre
d’un mot.
Entends-tu, en ce point posé sur
Le silence, le cri du sec et son secret
Limpide ?
Fracas de cette palme monumentale
Qui se casse.
C’est à nouveau la pluie, chaude,
À verse. La sève chante. Goûte,
C’est là que boit le temps.
Vois, cette forêt qui nous regarde,
Qui me murmure et qui t’écoute,
C’est le chant rendu à tout ce qui vit,
C’est mon poème à la mesure de l’être.
Inouïe est sa caresse, et la preuve
Qu’en lui, je vis.
Dans les plis du sec, la sève chante
La pluie. Joie première.
Poème de Marie Meulien
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